Mena, Ndirinkin, Nnefaa, Yen’e, Tekaa.
Nnefaa.-
grand-père, nous allons au meeting du Front.
Tekaa.-
c’est un mauvais jour pour moi.
Ndirinkin.-
j’ose croire qu’un jour ce peuple retrouvera le chemin de la liberté.
Tekaa.-
mon colonel ?
Yen’e.-
A vos ordres ! Majesté !
Tekaa.-
rejoignez les éléments de gendarmerie stationnés au Rond Point Central. Ils
vous diront ce qu’il y a à faire.
(Yen’e s’incline pour
sortir…)
Ndirinkin.-
vous permettez, mon Colonel ?
(Yen’e se retourne).
Ndirinkin.- vous
ne pouvez plus être mon garde de corps. Nous avons trop de divergences de vues.
Ce qui fait que je me sente en insécurité quand vous êtes là. Partez ! et
ne revenez plus !
Tekaa,
avec empressement.- attendez ! Qu’est-ce qui se passe ?
Ndirinkin.-
ce n’est pas négociable, Papa ! (Un instant). Puisqu’il est là pour vous
maintenant, demandez-lui de partir et de ne plus revenir !
Tekaa,
déçu.- je regrette ! (Il se tourne vers le colonel). Respectez les ordres
qui vous sont donnés par la hiérarchie. Allez ! (Yen’e s’incline et sort,
abattu). (Un instant. Tekaa se tourne vers Ndirinkin.) Qu’a-t-il donc
fait ?
Ndirinkin,
sèchement.- ça ne vous regarde pas.
Tekaa,
fâché.- quoi ?... selon vous je dois me réjouir de ce que mon fils reste
sans garde de corps au moment où le peuple devient de plus en plus frondeur ?
Ndirinkin.-
le peuple n’a pas pris ses frondes pour moi, mais pour mon père et ses
partenaires.
Tekaa,
méprisant.- imbécile ! Idiot !... vous êtes le proposé à la
succession. Et le peuple ne saurait me faire du mal tout en vous laissant sain
et sauf : au fond, il s’agit d’exterminer toute la famille royale pour que
la royauté cesse d’exister dans ce pays. Pour accomplir le dessein des Blancs
qui est de tuer toute vie politique partout où ils passent pour imposer leur
truc qu’ils appellent la « démocratie ». La mondialisation au bout du canon!
Ndirinkin,
haussant les épaules.- tant pis ! Ce dont je suis très sûr, c’est que ce
peuple ne me fera rien de mal.
(Un temps).
Tekaa.-
je voudrais que nous parlions maintenant de politique criminelle.
Ndirinkin,
désintéressé.- comme il vous plait !
Tekaa.-
vous savez qu’il s’agit de la politique du front, n’est-ce pas ?
Ndirinkin.-
non.
Tekaa.-
ce n’est pas grave. (Un silence). Vous êtes assis sur le trône de la
Principauté. Et la principauté mène à la royauté.
Ndirinkin.-
le prince ne devient roi que quand son père a cédé. Les coups d’état sont des
actes inconnus de la principauté. Dans tous les cas je n’ai jamais souhaité la
mort de mon père pour prendre sa place.
Tekaa.-
je ne vous ai pas demandé de vous confesser. (Il change d’attitude et devient
grave). L’heure est grave dans ce pays. Et nous sommes les premiers visés. Toi
et moi.
Ndirinkin,
marchant sur lui.- regardez mes mains, mon Père ! (Il les lui montre). Ne
sont-elles pas aussi propres, aussi blanches que celles d’un enfant qui vient
de naître ? Qu’ont fait ces mains que vous mîtes au monde un jour pour
recevoir aujourd’hui le caillou d’une fronde ? Ces mains ne sont-elles pas
toujours aussi pures d’il y a une trentaine d’années ? Mon père, je ne
comprends pas ce que vous me reprochez de ma si courte vie terrestre pour m’en
vouloir aujourd’hui.
Tekaa,
amicalement.- mon fils, l’homme moderne ne comprend pas le langage du ciel. Toute la vérité est dans le canon qu'il tient fermement dans sa main! vous m'entendez?
Ndirinkin.-
qu’il le comprenne bien, mal ou pas, en tout cas, le Bon Dieu va me protéger
des égarés.
Tekaa.
Est-ce que vous allez me donner le temps de vous dire pourquoi je vous ai
cherché depuis ce matin ?
Tekaa.- … Nous allons créer un parti politique dont vous serez en même temps président et
unique fondateur. Il marchera bien, puisque vous bénéficiez d’une certaine
marge d’audience auprès des populations du territoire national. Quant à savoir
à quoi il pourra servir… eh bien ! Ce sera un parti politique stratégique
qui devra, d’une façon ou d’une autre, sauver la royauté et garantir notre
survie à la tête de ce royaume.
Ndirinkin.-
je me disais que vous luttiez pour la cause de ce peuple dont vous dites
souvent œuvrer pour le bien-être. Voilà qu’enfin je vous découvre comme un bon
pouvoiriste ! Vous luttez uniquement pour votre pouvoir ! Rien que
votre pouvoir ! Vous prétendez donner le bonheur à un peuple en
l’empêchant de réaliser son désir le plus cher et le plus inaliénable !
Voyez ! Tout ce que le peuple demande, c’est choisir lui-même, en toute
liberté, ceux qui vont désormais le gouverner. Et cela lui revient d’ailleurs
de droit. Le peuple ne vous demande pas de déplacer une montagne, encore moins
dessécher un océan ! Juste votre petite signature au bas d’une feuille qui
lui remet officiellement le pouvoir et le calme revient.
Tekaa.-
mon fils ! Interroge ton cœur ! Scrute ton cœur ! Écoute ton
cœur ! Et contemple ton père ! Celui qui t’a mis au monde !
Celui dont tu es le fils unique ! Si ton cœur te dit qu’il n’a aucun amour
pour moi, dis-le-moi tout de suite ! Et j’irai me plaindre là où je
peux ! Peut-être devant le Bon Dieu pour ne m’avoir rien donné de bon sur
la terre.
Ndirinkin.-
pour aller loin, essayons de ne plus mélanger sentiments et politique. … mon
cœur que je connais bien me dit de donner un conseil à mon cher père. Voici ce
conseil : le chevalier Noir agite fermement sa balance dans ses deux
mains : pour être heureux, aime le bien, pense le bien, sois juste, fais
toujours le bien, donne à qui de droit, ne détruit jamais rien, mais construis
toujours, même là où personne ne s’y attend, au nom de l’humanité et de l’Eternel,
créateur de toute chose…
Tekaa.-
merci, Monsieur le prophète de mon apocalypse ! Mais écoutez : cette
nation, je l’ai façonnée avec mes propres mains. J’ai dû travailler dur, me
privant tout ce temps de sommeil et de nourriture pour qu’elle devienne quelque
chose dans ce monde. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour qu’après moi le
trône passe à ma progéniture. Vous êtes mon unique enfant. Et tout ce que j’ai
donné pour vous éduquer jusqu’à ce jour, je l’ai eu grâce à ce pouvoir. Vous
avez vécu jusqu’aujourd’hui pour ce pouvoir. Votre seule école depuis que vous
êtes nés a été pour ce pouvoir. Ce pouvoir uniquement ! Vous ne savez plus
rien d’autre. Et vous êtes entrain de bouder ce pouvoir. Vous boudez votre
propre vie. Ndirinkin, tu es en train de te suicider !
Ndirinkin.-
je vous entends fort bien. Mais le temps où le pouvoir passait des mains du
père à celles du fils est dépassé. Parce que c’est un système égoïste, figé,
dénoncé et rebuté. Le monde entier vibre sur l’onde de la démocratie. Au nom de
la sainte volonté des Nations Unies. Mon père, si vous tenez à votre dignité,
si vous tenez à votre honneur, si vous ne voulez pas détruire votre si belle
œuvre pour cette nation, décidez avant que les gens ne décident à votre place
et peut-être à vos dépens. Optez pour la démocratie ! N’est-ce pas vous
qui me parliez, il y a quelques mois, de ce que je dois instituer le grand prix
annuel de la bonne gouvernance pour susciter l’émulation et le travail au sein
des instances dirigeantes de ce pays ?
Tekaa,
tremblant de colère.- Où est donc le problème à ce niveau ? (Un
instant). Est-ce que vous pouvez me dire
combien j’ai dépensé pour faire de vous ce que vous êtes aujourd’hui ?
Ndirinkin.-
fi ! Je n’étais qu’un enfant. Et je ne vous avais jamais demandé de
dépenser votre argent ou vos énergies pour moi. Vous ne faisiez d’ailleurs que
votre travail : le père a le devoir de tout donner, y compris sa propre
vie pour faire réussir son enfant. Il n’a pas le droit d’en attendre un
quelconque bénéfice. L’enfant sera toujours ce qu’il sera, même malgré son
père. Mettez-vous bien ça dans la tête !
Tekaa.-
oui ! Et qu’il en soit ainsi selon la sainte volonté de l’indépendantiste
Ndirinkin II ! Mais je voudrais que vous sachiez une chose : le
pouvoir dans ce pays n’est pas pour être jeté à de quelconque chien affamé. Il
restera là où il est, à n’importe quel prix. L’ordre règnera sur toute
l’étendue du territoire national, par tous les moyens ! Mettez-vous bien
ça dans la tête !
Ndirinkin,
haussant les épaules.- vous êtes capable de tout, je le sais très bien. Mais
sachez que le pouvoir revient de droit au peuple qui l’exerce par
l’intermédiaire d’un élu au suffrage universel direct et secret. C'est notre constitution!
Tekaa.-
merci pour la leçon de démocratie. Mais l’instauration de la démocratie dans ce
pays ne sera jamais justifiée. D’ailleurs, mon peuple n’est pas encore mûr pour
ce machin des Blancs.
Ndirinkin.-
ce peuple a grandi dans la peur et la terreur distillées et distribuées par une
dictature vachement cruelle, sadique et inhumaine. Vous donniez la mort à tout
venant. Vous avez appris à ces hommes et femmes à ne jamais rien voir, ne
jamais rien dire, ne jamais rien refuser : tout accepter et tout endurer
de votre régime. Vous avez passé votre règne à tuer ce qu’il y a d’humain en
eux, agressant et brisant toute intelligence naissante. Aujourd’hui, les yeux
des gens s’ouvrent. Une lumière est apparue dans leurs cervelles. Et vous n’y
pouvez rien. Ils en ont marre de vos conneries. Et ils veulent en finir. Que ce
peuple vous repousse de toutes ses forces !
(Survient une bande de
manifestants armés de couteaux, de machettes et d’épées. Ils sont agaçants et
violents. Ils narguent les personnages au passage. Au moment où ils quittent la
scène, surviennent quatre démons cornus. En colère, ils brandissent et agitent
leurs épées. Ils entourent Tekaa et l’un d’eux pointe son épée sur son nez
comme pour le crever. Ndirinkin s’en va discrètement, tenant la main de sa
fille. Mena les suit sur la pointe des pieds.)
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