vendredi 29 novembre 2013

LA DEMOCRATIE AVANCEE 3




Mena, Ndirinkin, Nnefaa, Yen’e, Tekaa.



Nnefaa.- grand-père, nous allons au meeting du Front.
Tekaa.- c’est un mauvais jour pour moi.
Ndirinkin.- j’ose croire qu’un jour ce peuple retrouvera le chemin de la liberté.
Tekaa.- mon colonel ?
Yen’e.- A vos ordres ! Majesté !
Tekaa.- rejoignez les éléments de gendarmerie stationnés au Rond Point Central. Ils vous diront ce qu’il y a à faire.
(Yen’e s’incline pour sortir…)
Ndirinkin.- vous permettez, mon Colonel ?
(Yen’e se retourne).
Ndirinkin.- vous ne pouvez plus être mon garde de corps. Nous avons trop de divergences de vues. Ce qui fait que je me sente en insécurité quand vous êtes là. Partez ! et ne revenez plus !
Tekaa, avec empressement.- attendez ! Qu’est-ce qui se passe ?
Ndirinkin.- ce n’est pas négociable, Papa ! (Un instant). Puisqu’il est là pour vous maintenant, demandez-lui de partir et de ne plus revenir !
Tekaa, déçu.- je regrette ! (Il se tourne vers le colonel). Respectez les ordres qui vous sont donnés par la hiérarchie. Allez ! (Yen’e s’incline et sort, abattu). (Un instant. Tekaa se tourne vers Ndirinkin.) Qu’a-t-il donc fait ?
Ndirinkin, sèchement.- ça ne vous regarde pas.
Tekaa, fâché.- quoi ?... selon vous je dois me réjouir de ce que mon fils reste sans garde de corps au moment où le peuple devient de plus en plus frondeur ?
Ndirinkin.- le peuple n’a pas pris ses frondes pour moi, mais pour mon père et ses partenaires.
Tekaa, méprisant.- imbécile ! Idiot !... vous êtes le proposé à la succession. Et le peuple ne saurait me faire du mal tout en vous laissant sain et sauf : au fond, il s’agit d’exterminer toute la famille royale pour que la royauté cesse d’exister dans ce pays. Pour accomplir le dessein des Blancs qui est de tuer toute vie politique partout où ils passent pour imposer leur truc qu’ils appellent la « démocratie ». La mondialisation au bout du canon!
Ndirinkin, haussant les épaules.- tant pis ! Ce dont je suis très sûr, c’est que ce peuple ne me fera rien de mal.
(Un temps).



Tekaa.- je voudrais que nous parlions maintenant de politique criminelle.
Ndirinkin, désintéressé.- comme il vous plait !
Tekaa.- vous savez qu’il s’agit de la politique du front, n’est-ce pas ?
Ndirinkin.- non.
Tekaa.- ce n’est pas grave. (Un silence). Vous êtes assis sur le trône de la Principauté. Et la principauté mène à la royauté.
Ndirinkin.- le prince ne devient roi que quand son père a cédé. Les coups d’état sont des actes inconnus de la principauté. Dans tous les cas je n’ai jamais souhaité la mort de mon père pour prendre sa place.
Tekaa.- je ne vous ai pas demandé de vous confesser. (Il change d’attitude et devient grave). L’heure est grave dans ce pays. Et nous sommes les premiers visés. Toi et moi.
Ndirinkin, marchant sur lui.- regardez mes mains, mon Père ! (Il les lui montre). Ne sont-elles pas aussi propres, aussi blanches que celles d’un enfant qui vient de naître ? Qu’ont fait ces mains que vous mîtes au monde un jour pour recevoir aujourd’hui le caillou d’une fronde ? Ces mains ne sont-elles pas toujours aussi pures d’il y a une trentaine d’années ? Mon père, je ne comprends pas ce que vous me reprochez de ma si courte vie terrestre pour m’en vouloir aujourd’hui.
Tekaa, amicalement.- mon fils, l’homme moderne ne comprend pas le langage du ciel. Toute la vérité est dans le canon qu'il tient fermement dans sa main! vous m'entendez?
Ndirinkin.- qu’il le comprenne bien, mal ou pas, en tout cas, le Bon Dieu va me protéger des égarés.
Tekaa. Est-ce que vous allez me donner le temps de vous dire pourquoi je vous ai cherché depuis ce matin ?
Ndirinkin.- O. K. !



Tekaa.- … Nous allons créer un parti politique dont vous serez en même temps président et unique fondateur. Il marchera bien, puisque vous bénéficiez d’une certaine marge d’audience auprès des populations du territoire national. Quant à savoir à quoi il pourra servir… eh bien ! Ce sera un parti politique stratégique qui devra, d’une façon ou d’une autre, sauver la royauté et garantir notre survie à la tête de ce royaume.
Ndirinkin.- je me disais que vous luttiez pour la cause de ce peuple dont vous dites souvent œuvrer pour le bien-être. Voilà qu’enfin je vous découvre comme un bon pouvoiriste ! Vous luttez uniquement pour votre pouvoir ! Rien que votre pouvoir ! Vous prétendez donner le bonheur à un peuple en l’empêchant de réaliser son désir le plus cher et le plus inaliénable ! Voyez ! Tout ce que le peuple demande, c’est choisir lui-même, en toute liberté, ceux qui vont désormais le gouverner. Et cela lui revient d’ailleurs de droit. Le peuple ne vous demande pas de déplacer une montagne, encore moins dessécher un océan ! Juste votre petite signature au bas d’une feuille qui lui remet officiellement le pouvoir et le calme revient.
Tekaa.- mon fils ! Interroge ton cœur ! Scrute ton cœur ! Écoute ton cœur ! Et contemple ton père ! Celui qui t’a mis au monde ! Celui dont tu es le fils unique ! Si ton cœur te dit qu’il n’a aucun amour pour moi, dis-le-moi tout de suite ! Et j’irai me plaindre là où je peux ! Peut-être devant le Bon Dieu pour ne m’avoir rien donné de bon sur la terre.
Ndirinkin.- pour aller loin, essayons de ne plus mélanger sentiments et politique. … mon cœur que je connais bien me dit de donner un conseil à mon cher père. Voici ce conseil : le chevalier Noir agite fermement sa balance dans ses deux mains : pour être heureux, aime le bien, pense le bien, sois juste, fais toujours le bien, donne à qui de droit, ne détruit jamais rien, mais construis toujours, même là où personne ne s’y attend, au nom de l’humanité et de l’Eternel, créateur de toute chose…
Tekaa.- merci, Monsieur le prophète de mon apocalypse ! Mais écoutez : cette nation, je l’ai façonnée avec mes propres mains. J’ai dû travailler dur, me privant tout ce temps de sommeil et de nourriture pour qu’elle devienne quelque chose dans ce monde. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour qu’après moi le trône passe à ma progéniture. Vous êtes mon unique enfant. Et tout ce que j’ai donné pour vous éduquer jusqu’à ce jour, je l’ai eu grâce à ce pouvoir. Vous avez vécu jusqu’aujourd’hui pour ce pouvoir. Votre seule école depuis que vous êtes nés a été pour ce pouvoir. Ce pouvoir uniquement ! Vous ne savez plus rien d’autre. Et vous êtes entrain de bouder ce pouvoir. Vous boudez votre propre vie. Ndirinkin, tu es en train de te suicider !
Ndirinkin.- je vous entends fort bien. Mais le temps où le pouvoir passait des mains du père à celles du fils est dépassé. Parce que c’est un système égoïste, figé, dénoncé et rebuté. Le monde entier vibre sur l’onde de la démocratie. Au nom de la sainte volonté des Nations Unies. Mon père, si vous tenez à votre dignité, si vous tenez à votre honneur, si vous ne voulez pas détruire votre si belle œuvre pour cette nation, décidez avant que les gens ne décident à votre place et peut-être à vos dépens. Optez pour la démocratie ! N’est-ce pas vous qui me parliez, il y a quelques mois, de ce que je dois instituer le grand prix annuel de la bonne gouvernance pour susciter l’émulation et le travail au sein des instances dirigeantes de ce pays ?
Tekaa, tremblant de colère.- Où est donc le problème à ce niveau ? (Un instant).  Est-ce que vous pouvez me dire combien j’ai dépensé pour faire de vous ce que vous êtes aujourd’hui ?
Ndirinkin.- fi ! Je n’étais qu’un enfant. Et je ne vous avais jamais demandé de dépenser votre argent ou vos énergies pour moi. Vous ne faisiez d’ailleurs que votre travail : le père a le devoir de tout donner, y compris sa propre vie pour faire réussir son enfant. Il n’a pas le droit d’en attendre un quelconque bénéfice. L’enfant sera toujours ce qu’il sera, même malgré son père. Mettez-vous bien ça dans la tête !
Tekaa.- oui ! Et qu’il en soit ainsi selon la sainte volonté de l’indépendantiste Ndirinkin II ! Mais je voudrais que vous sachiez une chose : le pouvoir dans ce pays n’est pas pour être jeté à de quelconque chien affamé. Il restera là où il est, à n’importe quel prix. L’ordre règnera sur toute l’étendue du territoire national, par tous les moyens ! Mettez-vous bien ça dans la tête !
Ndirinkin, haussant les épaules.- vous êtes capable de tout, je le sais très bien. Mais sachez que le pouvoir revient de droit au peuple qui l’exerce par l’intermédiaire d’un élu au suffrage universel direct et secret. C'est notre constitution!
Tekaa.- merci pour la leçon de démocratie. Mais l’instauration de la démocratie dans ce pays ne sera jamais justifiée. D’ailleurs, mon peuple n’est pas encore mûr pour ce machin des Blancs.



Ndirinkin.- ce peuple a grandi dans la peur et la terreur distillées et distribuées par une dictature vachement cruelle, sadique et inhumaine. Vous donniez la mort à tout venant. Vous avez appris à ces hommes et femmes à ne jamais rien voir, ne jamais rien dire, ne jamais rien refuser : tout accepter et tout endurer de votre régime. Vous avez passé votre règne à tuer ce qu’il y a d’humain en eux, agressant et brisant toute intelligence naissante. Aujourd’hui, les yeux des gens s’ouvrent. Une lumière est apparue dans leurs cervelles. Et vous n’y pouvez rien. Ils en ont marre de vos conneries. Et ils veulent en finir. Que ce peuple vous repousse de toutes ses forces !
(Survient une bande de manifestants armés de couteaux, de machettes et d’épées. Ils sont agaçants et violents. Ils narguent les personnages au passage. Au moment où ils quittent la scène, surviennent quatre démons cornus. En colère, ils brandissent et agitent leurs épées. Ils entourent Tekaa et l’un d’eux pointe son épée sur son nez comme pour le crever. Ndirinkin s’en va discrètement, tenant la main de sa fille. Mena les suit sur la pointe des pieds.)


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