Mena, Ndirinkin, Nnefaa, Yen’e.
Grande route. Paysage vert. Les personnages
observent des manifestants qui passent en chantant. Explosions. Coups de
sifflets. Klaxons de voitures. Survient une forte explosion qui fait sursauter
plusieurs personnes. Calme plat.
Mena, elle se rapproche de Ndirinkin.- Alors… C’est
ça la démocratie !
Ndirinkin, distrait.- c’est ça la démocratie.
Mena, elle se tourne vers les manifestants.- ce
vacarme, ce bordel, ce vandalisme, ces agressions, ces explosions qui me font
si mal au cœur et … (elle se tourne vers Ndirinkin). Et puis quoi encore ?
Ndirinkin.- et puis l’espoir. L’espoir qui nous anime. (Un
silence). Et ces villes qui meurent. Mais il faut que ce peuple évolue sur une
voie qui lui convienne. Cette voie est celle qu’il aura choisie en toute
liberté, en toute conscience, en toute transparence.
Mena.- a quoi sert-il d’être libre si c’est pour
faire tant de bruits et de mal pour mettre les autres mal à l’aise ?
Ndirinkin.- je ne sais pas. Mais le peuple ne réclame
qu’un peu de justice et de bien-être : c’est son droit.
Nnefaa.- tout homme a le droit de revendiquer son
droit. Aujourd’hui, nous avons le moyen le plus sûr pour ce faire : c’est
la contestation ; c’est le refus de travailler …si nous ne jouissons
pas de nos pleins droits. Nous avons la volonté de nous donner tous nos droits,
même si c’est en mettant le désordre là
où les choses vont mal. Le but poursuivi, c’est anéantir toutes les forces
conservatrices.
Yen’e.- ça alors ! (Un silence). En démocratie, le
peuple est entre les mains d’une minorité qu’il a librement choisie pour le
conduire à travers ronces et épines de ce monde où nous devenons chaque jour
étrangers vers son bonheur véritable. A travers ronces de sa destinée et épines
de son destin. Vers son bonheur véritable. Ce peuple avait choisi ses
dirigeants dès la fondation de ce royaume. Ceux-ci ont toujours fait ce qu’un
peuple peut attendre de ses dirigeants depuis qu’ils sont aux affaires…
Ndirinkin.- Boue ! Les dirigeants d’aujourd’hui, dans
notre royaume, sont les plus forts d’une époque très reculée. Et le peuple est
dehors pour que ses dirigeants ne soient plus ceux qui l’ont vaincu par la
force des armes, mais par le bon travail, le savoir-être, le savoir-faire, la
clairvoyance, la sagesse, l’humanité…
(Éclats et coups de tonnerre. Un instant. Il
règne un calme plat. Le brouhaha des manifestants reprend.)
Nnefaa.- las ! Comme si c’était le commencement de
la fin du monde !
Ndirinkin.- c’est le commencement de la fin d’un règne. Et
il est le bienvenu.
Yen’e.- mon prince ?
Ndirinkin.- je vous écoute.
Yen’e.- pensez-vous que la solution à nos maux se
trouve dans le changement d’hommes ou de régime politique comme le front le
réclame avec véhémence ?
Ndirinkin, sèchement.- la solution à un problème se trouve
partout où on peut la trouver.
Yen’e.- Mais pour le moment, la solution à notre
problème, c’est vous ! Vous êtes le fils unique du Roi, le seul en vue
pour prendre la relève. Le pays a besoin de vous. Vous avez le devoir de
répondre à l’appel de votre destin. Et Sa Majesté le Roi m’a chargé de vous
dire qu’il a urgemment besoin de vous.
Ndirinkin.- mon père n’a donc besoin de moi que quand il a
des problèmes de gouvernance ! Pour accomplir de basses besognes !
Pas vrai ?
Yen’e, comme à son oreille.- c’est pour prendre le
pouvoir dans vos deux mains. Fermement. Vous êtes nés pour ça !
Ndirinkin.- je veux faire le bien toute ma vie durant.
Yen’e.- mon seigneur croit-il donc que le Roi m’a
envoyé ici pour mettre une vipère dans sa poche ?
Ndirinkin.- c’est plus qu’une vipère : c’est tous les
démons de l’enfer.
Yen’e.- …eh bien ! … le père veut toujours le
bonheur de son fils. Et tout ce qu’il lui donne, tout ce qu’il voudrait lui
donner, tout ce qu’il lui fait, tout ce qu’il voudrait lui faire, tout cela le
mène tout droit à ce but : le rendre heureux.
Ndirinkin.- apocalypse ! Chacun vit toujours pour
soi, malgré tout. (Un silence). De quel bonheur voulez-vous que je jouisse si
le peuple que j’incarne est malheureux ? (Un silence). Mon père veut me
donner ce pouvoir qu’il n’a plus pour sauver sa tête et me faire perdre la
mienne. Il s’imagine que, par amour, je ne dénoncerai pas ses crimes ni ses
malversations de tous genres si je parviens aux affaires. Je dis parvenir. Et
c’est peine perdue !
Nnefaa.- le temps où il fallait se soumettre à de
pareilles conceptions du pouvoir est révolu.
Mena.- vilaine ! Le pouvoir est bon pour mon
mari.
Ndirinkin.- madame ! Madame ! Je voudrais bien
avoir ce pouvoir. Mais avec droiture, mérite et justice. Aujourd’hui dans ce
pays, le pouvoir n’est plus le gâteau privé d’une certaine famille. Il se
trouve dans la rue, entre les mains du peuple. Et le peuple donne son pouvoir à
qui il veut, sans avoir des comptes à rendre. M’entendez-vous ? Ce que mon
père veut me donner est une coque vide.
Mena.- hum… une coque vide... c’est-à-dire une coque à
remplir. Et, la remplissant, lui donner le contenu qu’on désire.
Nnefaa.- maman ?
Un silence.
Ndirinkin.- j’aime les gens qui cherchent à mener les
hommes vers la positivité ; j’ai horreur de ceux qui tirent le peuple vers
la barbarie des manifestations : toute manifestation est destructrice de
quelque chose. La bonne gouvernance est celle qui modèle les comportements
animaux de l’actuelle civilisation soi-disant humaine pour concentrer l’homme
sur le travail et le bien. Assurer la continuité du règne de mon père, c’est
tirer ce peuple vers l’arrière, c’est le faire rétrograder : c’est le
tuer. Pourtant ce peuple a soif de progrès. Dois-je le précipiter dans le
pire ? (Un silence). Je mettrai le désordre partout : il n’y a que le
désordre pour faire avancer les choses. (Un silence). Je prendrai le bout du
fil ; et je voudrais bien mourir s’il faut le perdre. (Se tournant vers
Yen’e) N’est-ce pas ce que vous voulez ?
Yen’e, déçu.- je me demande à quelle sauce sera mangé
ce peuple ?
Ndirinkin.- le peuple ne veut plus de la sauce dans
laquelle il est mangé actuellement, ce qui est sûr. Joignons nos bras à nos
maux dans le sens de nos seuls intérêts : voilà qui devrait plaire à tous
dans le monde moderne.
Mena.- où est donc l’universalité de l’homme ?
Ndirinkin.- dans les mots. Et dans la tête de ceux qui
l’ont inventée.
Mena.- vous endoctrinez le peuple avec les opinions du
Front ou avec la démocratie ?
Ndirinkin.- « ventre affamé n’a point
d’oreilles ». Et ce peuple a faim. (A Mena). Si vous avez besoin
d’endoctrinement, entrez dans une église, et vous serez bien servie. Pour moi,
c’est le moment de rejoindre ce peuple dans la rue et lui montrer tout ce qu’il
vaut dans une démocratie. En démocratie, le peuple est irremplaçable et
premier.
Mena, avec insistance.- où est alors la grande
famille humaine s’il faut se borner à assurer le bien-être d’un
groupuscule ?
Ndirinkin.- la grande famille humaine restera à jamais
dans la tête de ceux qui l’ont inventée. Les cartes avaient été faussées dès la
base : en refusant l’humanité à certains tout en en accordant un peu aux
autres, on s’est posé comme homme, et le jeu est vite joué : pour
universaliser l’homme, il faut l’exporter et l’implanter partout où il peut
prospérer, d’où les impérialismes, la colonisation. Et comme l’homme doit être
maître partout où il se trouve, viennent la traite négrière, le commerce des
esclaves, les guerres des conquêtes et de domination, la course aux armements.
A la fin, on n’a exporté que le mal ; et l’animal de la forêt,
aujourd’hui, n’a rien à envier à l’homme. On a oublie en sortant de chez soi,
ce qu’il fallait pour relever les mœurs des autres dont on disait indignes de
l’humanité ; on a ainsi détruit des trésors de l’humanité. Vous
m’entendez, Madame ? La grande famille humaine a été pour nous
l’apprentissage de la haine inconditionnelle de nous-même. Elle nous a poussé
au suicide. Elle nous a appris que seul le mal existe, et que rien au monde
n’est pour notre bien, même ce bon dieu dont on dit super bon, superpuissant,
super voyant …
Nnefaa.- la technologie ne sera jamais exportée, de
peur qu’elle ne nous fasse du bien.
Ndirinkin.- c’est vrai. (Un silence). Si universaliser
l’homme revient à occidentaliser encore plus le monde, nous avons intérêts à
repousser cette bêtise de toutes nos forces. Ça, c’est notre devoir. Et c’est
surtout une question de vie ou de mort.
(Fracas indescriptible. Sons de tambours et de
xylophones. Cris. Coups de sifflets. Klaxons de voitures. Explosions.
Applaudissements. Un temps. Yen’e devient inquiet ; il s’agite un
peu ; il est nerveux. Il se tourne vers le prince.)
Yen’e.- mon Seigneur ?
Ndirinkin, à mi-voix.- je vous écoute.
Yen’e.- comment refusez-vous de comprendre que si nous
sommes ce que nous sommes aujourd’hui, c’est à cause de ceux avec qui nous
coopérons ? Ce n’est pas à cause du roi que nous souffrons : la
puissance de nos pays amis est fascinante, charmante, assimilatrice et très supérieure
à la nôtre. Tu t’y rapproches, elle t’avale ; tu t’en éloignes, elle vient
te trouver là où tu es et te lampe. (Il bégaie un peu.) Vous ne voyez
pas ?
Ndirinkin, fâché.- j’attends toujours la conclusion.
Yen’e.- la coopération Nord-Sud telle qu’elle se fait
actuellement est un suicide pour l’Afrique. C’est elle qui est responsable de
ce qui nous arrive aujourd’hui.
Ndirinkin.- vous m’agacez.
Yen’e.- pour dire ?
Ndirinkin.- ça va pour aujourd’hui : on va se dire au
revoir.
Yen’e.- du jamais vu !
Ndirinkin.- quoi ?
Yen’e.- un prince qui se déplace sans garde de
corps !
Ndirinkin.- on verra bien.
(Survient Tekaa, masqué. Il montre sa face et
remet le masque aussitôt.)
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