Si la bienséance, à la base, n’a pas tenu compte de la
relation directe entre soi et Dieu, c’est qu’elle poserait, comme les
phénoménologues occidentaux de la classe de Jean Paul Sartre, que la conscience
est « positionnelle du monde » et jamais positionnelle d’elle-même.
Quand, après avoir montré qu’il y a un cogito pré réflexif qui précède le
cogito cartésien, Sartre dit que la conscience est uniquement « conscience
positionnelle du monde », il nie par là la réflexion de la conscience et
prend celle-ci pour un réfléchi pur. Il y a pourtant une réflexivité de la
conscience, réflexivité sans laquelle toute conscience
serait « inconsciente » de son propre problème : être. Pour
qu’une conscience puisse se saisir comme conscience, il faut qu’elle se pose
elle-même comme objet de conscience. Qu’est-ce à dire ?
En ce moment précis, je peux dire : je chantais. Mais
pour que je le dise, il faut que je me fusse pris en compte ; il faut que
je me fusse posé comme objet pour moi-même dans l’acte de chanter et que
j’eusse réalisé qu’effectivement je chantais. Pendant que je chante, je ne peux
dire que je chante. Ma conscience d’être entrain de chanter se saisit dans
l’acte même de chanter. Et je ne peux m’en soustraire qu’à l’instant même ou je
cesse de chanter. Tout cela est instantané. Mais la conscience ne saurait se
saisir elle-même comme objet que dans l’instant.
C’est fort difficile
à un aristotélicien d’admettre une conscience
uniquement « positionnelle du monde ».Voici ce qu’il
dirait :
« Toute conscience est conscience positionnelle du
monde »
Or toute conscience fait partie du monde ;
Donc toute conscience est conscience positionnelle
d’elle-même.
Et ce n’est pas du sophisme.
Il faut, en effet, savoir que sans la pré réflexion la
réflexion n’a pas d’objet précis. Tout ce qu’il y a d’intentions réflexives
dans ma conscience est pré réflexion et se donne comme telle à la réflexion. Et
la réflexion qui juge la conscience réfléchie est soutenue par l’intention pré
réflexive de porter des jugements sur cette conscience. Si pré réflexion avait
pour objet le cogito réfléchi, elle sortirait de son cadre fonctionnel qui est
celui de la détermination des intentions pré réflexives de la conscience. Par
ailleurs les jugements portés par le cogito réflexif sont destinés à
induire les intentions du cogito réfléchi. Et le cogito cartésien sortirait
aussi de son cadre fonctionnel s’il induisait lui-même ces intentions de la
conscience réfléchie : il y a un cogito pré réfléchi sans lequel le
cogito réfléchi n’aurait pas d’objet de conscience. Il apparaît ainsi que
sans le cogito pré réflexif et pré réfléchi, la « réalité
humaine » serait ineffable, sans discernement. Elle ne serait même pas
intentionnalité.
La conscience humaine est quadri-fonctionnelle :
il faut un cogito pré réflexif pour que les données du cogito réflexif
soient ontologiquement réels ; de même, la réalité ontologique du cogito réfléchi
nécessite un cogito pré réfléchi. Et il va de soi que tout dysfonctionnement
est signe de troubles mentaux. Il va de soi que les quatre dimensions de la
conscience sont chacune néantisation de soi et des autres. La division du
travail, la séparation des pouvoirs commencent bien dans la conscience. Quand
c’est des fous qui nous gouvernent, il ne faut s’attendre à rien quant à la
transparance dans la gouvernance.
Mais la conscience est fondamentalement « pour
soi » et n’est pour soi pour autrui que pour soi : c’est toujours
soi que soi cherche à travers autrui. Toute conscience n’est « positionnelle
du monde » que pour soi. Ce fait pour la conscience d’être positionnelle
d’elle-même par camouflage ne fait pas d’elle une chose. C’est la mauvaise foi dont
parle Jean Paul Sartre dans l’Etre et le Néant. Au fait, si la conscience n’est
qu’une quête perpétuelle de soi, c’est justement parce qu’elle est un rien dont
la réalité se trouve ailleurs qu’en elle : je suis condamné à n’être que
par autrui, c’est le primat de l’autre sur mon « exister »
dont nous parlions comme étant l’un des éléments de base (sinon l’unique) de la
« weltanschauung »Bamougong.
De ce que le cogito pré réflexif a pour objet le cogito
réflexif, de ce que le cogito réflexif a pour objet le cogito pré réfléchi et
le cogito réfléchi, de ce que le cogito pré réfléchi a pour objet le cogito
réfléchi et de ce que la conscience est à la recherche permanente de son propre
être, nous tirons sa réflexivité. Lors de la monstration précédente, nous avons
fait transparaître le primat de la réflexion sur les autres cogitos :
c’est aussi une preuve de la réflexivité de la conscience. La conscience
est réflexive, elle n’est pas que réfléchie (c'est-à-dire « positionnelle
du monde »).Les anciens étaient sans doute conscients de ce primat de la
réflexion sur tout l’homme. Aussi l’ont-ils limité par une loi interdisant à
l’homme de juger de peur d’être jugé à son tour,ou encore l’épée avec laquelle
un homme tue son prochain sera l’épée de sa propre mort ou vie. Au fond, la
conscience est un réflexif irréversible.
Ce qui ne voudrait pas dire qu’autrui est un objet dont je
me sers pour réaliser mon existence : autrui est mon semblable et, par
suite, attend de moi ce que j’attends de lui. Nous avons déjà montré comment
autrui n’était un simple objet dont on peut se servir à sa guise que pour
l’homme du « fomla ».
Une conscience qui n’est pas conscience positionnelle
d’elle-même n’est pas terrienne et, partant, ne peut se vanté d’être faite à l’image
de Dieu. Car Dieu est conscience positionnelle de lui-même et du monde :
Conscience positionnelle de lui-même par sa volonté et son désir d’être reconnu
et loué par le reste comme Dieu unique, conscience positionnelle du monde par
sa créativité et toutes les modifications positives qu’il apporte à l’être.
De ce
que le cogito réflexif a pour objet le cogito pré réfléchi et le cogito réfléchi,
de ce que le cogito pré réfléchi a pour objet le cogito réfléchi, de ce que le
cogito pré réflexif a pour objet le cogito réflexif et de ce que Soi ne peut se
fondre en autrui, nous tirons la symétrie transcendante de la conscience.
De ce que la conscience est régie par la loi de l’instantanéité, non pas
seulement pour se saisir elle-même comme objet, mais pour que toute perception
ou désir retentisse du même coup à tout ses niveaux sans partage ni déviation, nous
tirons l’unicité de cette conscience. Toute conscience est conscience
positionnelle d’une et d’une seule chose. La conscience est une. Et les
différents cogitos que nous avons cités n’en sont pas des sortes de
compartiments dans une boîte appelée conscience. Les cogitos ne sont que des
modes d’être de la conscience. C’est la réflexivité, la symétrie
transcendante et l’unicité de la conscience qui fait qu’elle appartienne à
notre monde.
En
somme, la conscience, pour être conscience de paix, doit être une, réflexive,
réfléchie et symétriquement transcendante. Tout ce que nous avons dit peut se
résumer dans le schéma suivant :
Sur le schéma, le décalage que font les soi (soi et autrui)
avant de se poser en Nous est une ascèse
avec délivrance des mains des forces d’inertie pour une dévotion sans faille à
la cause d’autrui et du monde. Il s’agit de rejeter tout égocentrisme, tout
racisme, tout tribalisme, tout ethnocentrisme, ce qu’on a appelé
européocentrisme et tout les autres maux qui empêchent les hommes de se
ramasser en un tout solide. Le « Conseil de Sécurité » doit poser
comme problème la sécurité de tous les habitants de la planète terre, non pas
seulement celle des grands Etats possesseurs patentés du droit de véto.